Évaluation des risques liés à l’éthanol
Évaluation des risques liés à une exposition par inhalation de vapeur d’éthanol et/ou par contact avec la peau
L'alcool éthylique, ou éthanol, est présent dans de très nombreux produits de consommation courante. Il est également utilisé dans un cadre professionnel pour de nombreuses applications (combustiles, solvant, désinfectant, …). Si les risques liés à la consommation d’alcool par ingestion sont bien connus, à l’inverse ceux résultant d’une exposition par inhalation de vapeur d’éthanol et/ou par contact avec la peau, restent en question. Dans ce contexte, l’Agence a évalué les risques résultant d’une exposition par inhalation de vapeur d’éthanol et/ou par contact avec la peau pour la population générale ainsi qu’en milieu professionnel.
L'alcool éthylique, ou éthanol, est présent dans de très nombreux produits de consommation courante (produits d’entretien, nettoyants, lave vitre, détergents liquides, produits d’hygiène, cosmétiques, désinfectants, encres, peintures et vernis, arômes, alcool à brûler, dégivrant, … ). Il est utilisé dans de nombreuses applications en tant que:
- combustible (le gouvernement français a lancé officiellement fin 2006 l'E85, un mélange de 85 % d'éthanol et de 15 % d'essence comme agrocarburant, disponible dans plusieurs centaines de stations de service depuis la fin de l'année 2007) ;
- solvant (procédés d’extraction en laboratoires et fabrication de peintures, vernis, encres, matières plastiques, adhésifs, explosifs, parfums, cosmétiques, industrie pharmaceutique, …). L’éthanol dissout particulièrement bien les graisses et de nombreuses matières plastiques ;
- désinfectant ;
- matière première dans la synthèse de produits chimiques (production d’acide acétique, d’acrylate d’éthyle, d’acétate d’éthyle, des éthers de glycol, d’éthylamine, d’éthylène, d’éthers oxydes).
Les effets de l’éthanol sur la santé
Les effets de l’éthanol sur la santé sont observés chez les consommateurs excessifs de boissons alcoolisées : nausées, vomissements, vertige, voire paralysie respiratoire. Au-delà des symptômes d'ébriété constatés à court terme, la consommation excessive et régulière d’alcool s’est révélée dangereuse pour la santé à moyen ou long terme.
De fait, les toxicologues et les épidémiologistes ont acquis une bonne connaissance des effets et des mécanismes de l’éthanol par ingestion. Cirrhose du foie, cancers, troubles du système nerveux, syndrome d'alcoolisation fœtale sont les pathologies les plus graves provoquées par la consommation excessive de boissons alcoolisées (INSERM, 2001).
Il est également reconnu que l'inhalation de vapeurs d’éthanol et le contact cutané peuvent être une source d’irritation locale.
Dans ce contexte, l’Agence s’est penché sur la question des risques résultant d’une exposition par inhalation de vapeur d’éthanol et/ou par contact avec la peau pour la population générale ainsi qu’en milieu professionnel.
Les travaux de l’Agence
L’enjeu des travaux menés par l’Agence est de définir si des personnes qui sont exposées à l’éthanol, par contact cutané et/ou par inhalation, à de faibles concentrations dans le cadre de leur travail ou de leurs activités domestiques, présentent un risque accru pour leur santé (toxicité de la reproduction, neurotoxicité…)
Il s'agit donc, aussi bien pour la population professionnelle que pour la population générale:
- d’évaluer les risques sanitaires ;
- d’envisager, si nécessaire, des mesures adéquates de réduction des risques ;
- d’identifier les possibilités de substitution de l’éthanol.
Ces travaux ont été pris en charge par le Comité d’Experts Spécialisés « Évaluation des risques liés aux substances chimiques » de l’Agence et un groupe de travail dédié a été constitué, réunissant dix experts toxicologues, médecins et chimistes.
Pour mener à bien cette expertise, trois axes de travail complémentaires ont été poursuivis :
- une synthèse des effets sanitaires de l’éthanol, à faible dose, pour les deux voies par inhalation et contact cutané a été réalisée ;
- afin d’examiner les situations d’exposition à l’éthanol pour les populations professionnelle et générale, l’Agence a collecté des informations relatives aux filières de production de l’éthanol, aux activités professionnelles utilisant de l’éthanol et aux produits de consommation contenant de l’éthanol ;
- afin de déterminer les niveaux d’exposition dans les deux types de population, les valeurs d’exposition professionnelle à l’éthanol ont été collectées dans la littérature par le recensement des niveaux d’exposition observés dans les entreprises et par une extraction des données contenues dans la base COLCHIC. Les expositions de la population générale ont été estimées par le groupe de travail, sur la base des connaissances acquises sur les produits et leurs modes d’utilisation, puis à partir de scénarios probables d’exposition. L’évaluation des risques liés à l’éthanol dans les produits cosmétiques a été conduite par l’AFSSAPS, puis prise en compte dans les travaux de l’Agence. L’exposition aiguë liée à l’application d’un produit de bricolage riche en éthanol (tel que le vernis au tampon) a également été estimée, même si son usage dans la population générale est peu fréquent. L’exposition chronique à l’éthanol a été estimée à partir de données de concentrations atmosphériques mesurées dans les environnements intérieurs et extérieurs au Canada, en l’absence de données françaises. Sur cette base, l’évaluation des risques a été réalisée en mettant en regard les niveaux d’exposition mesurés ou estimés susceptibles de conduire à des effets sanitaires potentiels.
Enfin, les mesures de réduction des risques, y compris la possibilité de substitution de l’éthanol, ont fait l’objet d’un recueil des pratiques et des expériences auprès des professionnels.
Conclusions
Évaluation des risques en milieu professionnel
En dehors des boissons alcoolisées, l’éthanol est présent dans de nombreux produits professionnels : peintures, vernis et encres, produits hydro-alcooliques, agrocarburants. Plus de 650 000 professionnels seraient potentiellement exposés à l’éthanol, par contact cutané et/ou par inhalation.
Les effets toxiques de l’éthanol (cancérogènes, sur la reproduction…), associés à la consommation de boissons alcoolisées, sont bien connus. L’éthanol contenu dans les boissons alcoolisées est ainsi classé comme cancérogène certain (catégorie 1) par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC). Contrairement à l’ingestion, l’inhalation liée à une activité professionnelle ne conduit pas à l’augmentation significative de la concentration d’éthanol dans le sang, responsable de la plupart des effets toxiques.
Les concentrations atmosphériques d’éthanol sur les lieux de travail restent généralement très en deçà (6 à 20 fois) de la valeur limite d’exposition professionnelle française sur 8 heures (1900 mg.m-3 actuellement en vigueur). Toutefois, des dépassements peuvent être observés à certains postes de travail, notamment dans le secteur des distillations industrielles et de la vinification. Pour information, les concentrations d’éthanol dans le sang (éthanolémie) résultant de l’inhalation d’éthanol dans un cadre professionnel sont généralement très inférieures (50 à 250 fois) au seuil fixé par le code de la route (0,5 g.L-1).
Des symptômes d’ébriété, liés à des expositions professionnelles aigues à de fortes concentrations de vapeur d’éthanol, ne peuvent pas être écartés.
Les résultats des travaux d’expertise n’ont pas permis de mettre en évidence de risque chronique pour la santé, spécifiquement lié à une exposition professionnelle par inhalation ou par contact cutané. En effet, les valeurs d’éthanolémie estimées pour les situations professionnelles les plus exposantes ne sont pas discernables de l’éthanolémie basale (présent naturellement dans l’organisme en dehors de toute ingestion d’éthanol).
Évaluation des risques pour la population générale
Parmi les activités courantes les plus exposantes, à court terme, les experts ont identifié en premier lieu l’utilisation de produits hydro-alcooliques et de produits cosmétiques. Elles conduisent à des valeurs maximales d'exposition estimées respectivement à 758 et 230 mg.m-3.
L'utilisation de produits ménagers, d'une cheminée à l'éthanol ou le remplissage d'un réservoir automobile d'agrocarburant, entrainent des expositions plus faibles à l'éthanol.
Le cumul de l’ensemble de ces expositions entrainerait une éthanolémie maximale de près de 0,9 mg.L-1 (soit près de 50 fois moins que le seuil fixé par le code de la route).
L'application de vernis au tampon serait l’activité qui expose le plus à l'éthanol parmi les scénarios envisagés. En effet, les concentrations d'exposition maximale modélisées seraient comprises entre 1450 et 2500 mg.m-3. Cette exposition entraînerait une éthanolémie comprise entre 5 et 9 mg.L-1.
L’ensemble des valeurs d’éthanolémie présentées ci-dessus sont inférieures aux éthanolémies rapportées pour les premiers effets aigus connus de l'éthanol (effets neurotoxiques), observés entre 100 et 200 mg.L-1.
Aussi, aucun excès de risque ne peut être mis en évidence dans le cas d’une exposition à l’éthanol à court terme de la population générale.
Les niveaux d’exposition chronique de la population générale à l’éthanol sont estimés, dans l’air intérieur, entre 0,05 et 0,1 mg.m-3, avec un maximum de 2 mg.m-3. Les concentrations en éthanol dans les environnements extérieurs sont dix fois plus faibles qu’à l’intérieur des logements.
L'éthanolémie induite par une exposition chronique à l’éthanol dans l'air des logements est si faible qu’aucun risque sanitaire (cancérogène ou sur le développement) n’est attendu pour la population générale exposée par inhalation à l’éthanol.
Identification des possibilités de substitution
Les possibilités de substituer l'éthanol dans les produits de consommation courante ont été renseignées pour les produits cosmétiques et les produits de nettoyage et des désinfectants. Les informations recueillies en 2008 confirment que l'éthanol est avant tout utilisé comme un produit de substitution d'autres agents chimiques avérés plus dangereux que l’éthanol. Dans le cas particulier des compositions parfumantes, la substitution de l'éthanol a été envisagée, mais s'est montrée non concluante pour les fabricants.
Recommandations de l'Agence
Au vu de ces travaux, l’Agence recommande :
Pour la prévention des risques en milieu professionnel
- le renforcement de l’application des mesures de prévention, sur la base de la réglementation de la prévention des risques chimiques applicable à l’éthanol ;
- l’actualisation de la classification des dangers de l’éthanol selon les procédures en vigueur ;
- le ré examen des valeurs limites d’exposition professionnelle de l’éthanol, au regard des connaissances scientifiques acquises depuis 1982, en visant à mieux protéger d’éventuels effets toxiques aigus (irritation des muqueuses oculaires et respiratoires, céphalées, sensations de fatigue, de vertige, etc.) qui constituent également des facteurs potentiels d’accident sur les lieux de travail ;
- l’amélioration de la connaissance des expositions professionnelles à l’éthanol, en développant notamment les campagnes de mesures individuelles auprès des producteurs d'éthanol brut et dans le secteur de la vinification.
Pour la prévention des risques de la population générale
La prise de précautions, lors de l’utilisation de tout produit de bricolage contenant des substances volatiles, telles que l'application de ces produits dans un endroit convenablement ventilé et le cas échéant, le port d'un appareil de protection respiratoire adapté.
Pour l’amélioration des connaissances scientifiques
- la poursuite de l'acquisition des connaissances des effets chroniques et à faible dose de l’éthanol, afin de disposer de données adaptées pour construire des valeurs toxicologiques de référence (VTR) par inhalation et de documenter l’éthanolémie basale dans la population française ;
- l’utilisation de données expérimentales relatives à l'éthanolémie résultant d'expositions par inhalation afin d’affiner le modèle toxicocinétique à base physiologique existant (étude en cours financée par l'Anses).