Évaluer la toxicité des substances : la piste du métabolisme
L’activité métabolique des cellules pourrait servir à déterminer la concentration à partir de laquelle une substance est toxique. Une étude menée par des scientifiques de l’Anses a exploré cette approche innovante. Celle-ci pourrait permettre de déterminer à partir de tests in vitro la concentration à partir de laquelle une substance présente un risque pour la santé humaine.
Mesurer le métabolisme des cellules pour déterminer à partir de quelle concentration une substance à laquelle elles sont exposées est toxique : tel est l’objectif d’une étude innovante initiée par Estelle Dubreil, chargée de projets de recherche dans l’unité toxicologie des contaminants au Laboratoire de l’Anses de Fougères, et dont les résultats ont été publiés dans la revue Journal of Hazardous Materials en août 2024. « À terme, de telles méthodes pourraient permettre d’élaborer des valeurs toxicologiques de référence pour les substances présentant un risque pour la santé humaine », explique Ludovic Le Hégarat, chef adjoint de l’unité. Ces valeurs sont des limites au-delà desquelles il existe un risque pour la santé à l’échelle de la population.
Une approche encore peu étudiée
« De nouvelles approches sont explorées pour évaluer la toxicité des molécules sans avoir recours aux expérimentations animales mais la métabolomique [l’étude des métabolites] est encore peu appliquée à la toxicologie in vitro », explique Estelle Dubreil. Les métabolites sont les composés produits par les cellules, comme les lipides ou les acides aminés, pour leur fonctionnement ou leur défense. La quantité de métabolites produits peut augmenter ou diminuer en réaction à l’exposition à une substance toxique.
L’étude menée par les scientifiques de l’Anses a pris comme exemple des cellules du foie exposées à trois alcaloïdes pyrrolizidiniques. Il s’agit d’une grande famille de substances organiques secrétées par des plantes et connue pour être toxique chez l’être humain et l’animal. Les alcaloïdes pyrrolizidiniques peuvent se retrouver dans des boissons et des aliments, notamment les tisanes, le miel ou les céréales.
Des effets mêmes à des concentrations faibles
L’un des avantages de l’approche explorée par l’Anses est de savoir précisément quelle fonction ou voie métabolique est impactée à chaque concentration. L’étude a montré que les effets des substances ne sont pas toujours proportionnels à leur concentration. Beaucoup de réponse sont en forme de cloche : lorsque les cellules sont exposées à de faibles concentrations, la quantité de métabolites augmente en même temps que la quantité d’alcaloïdes, puis elle diminue pour des concentrations plus fortes.
Parmi les métabolites produits par les cellules, les lipides sont les premiers impactés : ils pourraient constituer un marqueur des effets toxiques sur le foie à de faibles concentrations. Les scientifiques supposent que l’augmentation de la teneur en lipides des cellules est une première réponse pour compenser les effets toxiques des alcaloïdes, avant que d’autres voies métaboliques, comme celles des acides biliaires ou des acides aminés, ne prennent le relais. « Cette étude pointe clairement la nécessité de s’intéresser aux effets toxiques aux faibles concentrations qui sont à l’heure actuelle peu étudiés. En effet, les études de toxicologie chez l’animal continuent de privilégier une approche « fortes doses » alors que les études aux faibles doses permettent de s’approcher au plus près de la réalité de l’exposition humaine », commente Ludovic Le Hégarat.
Déterminer une valeur unique à partir d’une multitude de données
Les scientifiques ont testé un logiciel qui permet, à partir des courbes « doses-réponses » de chaque métabolite, de déterminer un point d’inflexion, c’est-à-dire une concentration à partir de laquelle on considère que la substance perturbe le métabolisme cellulaire. Cependant, avant de l’appliquer à l’évaluation du risque pour l’être humain, il faudra que la communauté scientifique s’accorde sur la méthode de calcul la plus prédictive de la toxicité d’une substance. L’une des questions à trancher est par exemple de savoir s’il vaut mieux se baser sur la concentration à partir de laquelle on observe les premiers effets sur certains métabolites marqueurs ou s’il faut plutôt retenir une valeur médiane pour un ensemble de métabolites perturbés.