Fièvre aphteuse : faciliter le transport d’échantillons du terrain au laboratoire pour identifier les souches circulantes
Une méthode simple et économique pour transporter les prélèvements en cas de suspicion de fièvre aphteuse a été développée par l’Anses. Elle pourrait être utilisée dans les pays qui ne peuvent pas appliquer le protocole de transport standard, trop coûteux. L’objectif est d’augmenter le nombre d’échantillons envoyés aux laboratoires de diagnostic afin d’identifier les souches circulantes et ainsi lutter plus efficacement contre la maladie.
La fièvre aphteuse est une maladie virale très contagieuse qui touche plus de 70 espèces d’animaux domestiques et sauvages, notamment les bovins, porcins, ovins et caprins. Le virus n’est pas transmissible à l’être humain mais entraîne des pertes économiques considérables en cas de foyer infectieux dans les élevages. Même si le taux de mortalité induit par la maladie reste relativement faible, les animaux infectés sont affaiblis et propagent le virus. Elle est principalement présente en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient et dans certains pays d’Amérique du Sud. L’Europe occidentale est indemne de la maladie. La caractérisation des souches en circulation dans les pays concernés est essentielle pour lutter contre la maladie : « les vaccins contre la fièvre aphteuse n’offrent pas une protection contre plusieurs souches à la fois, explique Sandra Blaise-Boisseau, scientifique au sein de l’unité mixte de recherche (UMR) de Virologie, au laboratoire de santé animale de l’Anses. Comme il existe une soixantaine de souches, à chaque nouvelle émergence il faut savoir quelle souche en est à l’origine. »
Des conditions de transport contraintes par la contagiosité du virus
Pour identifier les souches, les échantillons doivent être envoyés depuis les zones où ont lieu les prélèvements jusqu’aux laboratoires de référence, qui disposent des conditions de sécurité nécessaires pour réaliser les analyses d’identification. Ces laboratoires sont majoritairement situés en Europe et en Amérique du Nord, ce qui peut nécessiter un transport d’échantillons sur de longues distances. L’Anses est laboratoire de référence sur la fièvre aphteuse pour la France, l’Union européenne, l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elle reçoit donc régulièrement des échantillons à analyser. Le protocole de transport est strict : « Il faut conserver les échantillons dans de la glace carbonique, en respectant la chaîne du froid et en utilisant un triple emballage pour éviter les contaminations, explique Aurore Romey, de la même UMR Virologie de l’Anses. Certains pays n’ont pas les moyens d’appliquer ce protocole et renoncent à envoyer leurs échantillons. Nous avons aussi eu des cas où plusieurs semaines avaient été nécessaires pour trouver de la glace carbonique. Quand nous avons reçu les échantillons, ils étaient trop altérés pour isoler le virus. »
Un test antigénique converti en support de transport
Dans le cadre de ces mandats de référence pour l’OMSA et la FAO, l’Anses a développé un protocole de transport alternatif, facile et rapide à mettre en œuvre et ce à moindre coût. Les scientifiques sont partis du matériel déjà utilisé lors du recueil d’échantillons en cas de suspicion de fièvre aphteuse : « Des tests antigéniques, semblables aux autotests utilisés pour le Covid, sont utilisés sur le terrain, explique Sandra Blaise-Boisseau. Ils permettent de savoir en quelques dizaines de minutes si les animaux sont atteints de fièvre aphteuse mais n’indiquent pas la souche en cause. Nous nous sommes donc demandés s’il était possible d’utiliser ce support de test pour transporter les prélèvements jusqu’aux laboratoires de diagnostic. »
Tout d’abord, la possibilité de récupérer le virus et d’identifier la souche à partir du dépôt sur le test a été confirmée. Mais le virus étant infectieux, il est avant toute chose nécessaire de l’inactiver pour le transporter. Pour cela, les scientifiques ont testé plusieurs désinfectants connus pour être efficaces contre le virus de la fièvre aphteuse. Leur choix s’est arrêté sur l’acide citrique dilué à 0,2 %. La concentration choisie inactive le virus, le rendant donc incapable d’infecter des cellules tout en préservant suffisamment son matériel génétique pour identifier ultérieurement la souche auquel il appartient.
Succès des essais sur le terrain
Cette méthode a été testée en conditions réelles au Nigeria et en Turquie. Le Pakistan a également participé aux essais avec des prélèvements présents dans leurs collections. « Chaque pays nous a envoyé 20 échantillons. Nous avons pu confirmer en laboratoire qu’il s’agissait du virus de la fièvre aphteuse dans tous les cas. Le sérotype impliqué, qui constitue le premier niveau de caractérisation des souches, a été identifié pour 86% des échantillons. En allant plus loin au niveau de la caractérisation, la souche a pu être identifiée pour 60% des échantillons. » se réjouissent les scientifiques. Pour certains échantillons, le génome était intégralement conservé. « C’est un plus ! Pour identifier les souches, des fragments du génome suffisent. Mais avec l’ARN complet nous avons pu faire ce que l’on appelle du « virus rescue » ». Concrètement, il s’agit de produire in vitro un virus vivant et infectieux à partir de son ARN, après avoir introduit ce dernier dans des cellules animales. Cette possibilité de disposer du virus infectieux vivant permet en particulier de tester l’efficacité d’un vaccin vis-à-vis d’une nouvelle souche.
Les travaux ont été financés par la Commission européenne pour le contrôle de la fièvre aphteuse (EuFMD) de la FAO. Cette dernière a reconnu l’utilité de la méthode lorsqu’il n’était pas possible d’utiliser le protocole de transport standard. Elle a missionné l’Anses pour la tester sur d’autres marques de tests antigéniques que celle sur laquelle l’étude initiale a été réalisée. Les travaux sont en cours.